1. Notre programme de recherche

L’avènement du mouvement de l’Education nouvelle en Europe peut schématiquement être appréhendé à travers quatre grandes « thématiques ».

La première est son institutionnalisation. Adolphe Ferrière, promoteur inlassable, crée en 1899, le bureau international des écoles nouvelles qui a pour vocation de recenser toutes les expériences menées au sein de ces établissements. Réorganisé en 1912, ce bureau communiquera, sous la plume de Ferrière en 1915, un programme minimum et maximum stipulant les principales caractéristiques qu’une école doit posséder pour pouvoir se réclamer de ce mouvement. Au même moment, la naissance de l’Institut Jean-Jacques Rousseau voit le jour à Genève. Ce dernier sera parti prenante de l’aventure en publiant une revue et plusieurs ouvrages dans une collection intitulée Actualités pédagogiques qui aborderont, entre autres, les initiatives pédagogiques de certains directeurs de ces écoles. Le 6 août 1921, la Ligue Internationale pour l’Education Nouvelle est fondée lors du congrès de Calais. En plus du vote des principes de ralliement et des buts de cette ligue, est créée une revue intitulée Pour l’Ere nouvelle, organe officiel et international d’Education nouvelle . Cette version abrégée et bien connue demande, selon nous, à être interrogée au regard notamment des connaissances actuelles dont nous disposons. En effet, il existe des revues, des ouvrages et des écoles qui déjà, dans la seconde moitié du XVIIIè siècle, revendiquaient le titre d’ « Education nouvelle ». Ces prolégomènes de l’Education nouvelle enrichis par les réactions liées à la création d’écoles nouvelles en France dont les influences anglo-saxonnes furent critiquées sont également des éléments susceptibles de nous éclairer sur le contexte éducatif de cette époque. A terme, cette « phase d’institutionnalisation progressive » doit faire l’objet d’une nouvelle recherche prenant en compte les différentes données précédemment mentionnées. Enfin, il convient de ne pas oublier ces expériences éducatives et pédagogiques qui seront affiliées à ce mouvement durant l’entre deux guerres et qui contribueront à propager, à leur manière, une certaine idée de l’ « Education nouvelle ».

La deuxième « thématique » correspond aux écoles nouvelles. Ces établissements ont régulièrement alimenté les fantasmes de nombreux esprits espérant y trouver des outils voire des recettes pédagogiques tombées dans les oubliettes. Rappelons, ici, que le mouvement de l’Education nouvelle est international et qu’il est, par conséquent, constitutif des différentes cultures et des divers contextes socio-politiques de l’époque. Ce point constitue, à lui seul, une difficulté de taille pour celui qui tend à rendre le plus objectif possible la réalité des pratiques éducatives et pédagogiques dans ces écoles. Ainsi, comme le souligne très justement Daniel Denis, répondre aux questions posées par l’histoire de l’éducation nouvelle rend indispensable une recherche internationale qui viserait à établir la généalogie comparée des diverses lignées philosophiques de chaque pays étudiés ainsi que d’effectuer, selon des bases méthodologiques concertées, ce qu’il appelle un « bilan croisé des interactions entre les forces sociales qui les soutiennent » . Dans le cadre de ce site, nous souhaitons attirer l’attention sur la carence en terme d’études monographiques en ce qui concerne les premières écoles nouvelles en France. En effet, si certaines d’entres elles - en réalité seulement deux (Ecole des Roches, Collège de Normandie) ont déjà fait l’objet de ce type de travail, force est de constater que bon nombre de ces premières écoles nouvelles sont, à ce jour, en partie voire totalement méconnues (Ecole de Guyenne, Ecole d’Aquitaine). C’est dans cette optique, que nous mettons en ligne un recensement de ces établissements établis au cours de mes recherches ainsi que les références des ouvrages de ces directeurs d’écoles nouvelles. Notre but, à terme, est de publier un livre sur ces premières écoles dont la durée de vie moyenne ne dépassa malheureusement pas plus de six ans pour celles qui existèrent avant la première guerre mondiale. Après 1918, nous voyons apparaître progressivement un réseau d’écoles Montessori dont il serait tout aussi profitable d’en étudier les origines et le développement. Nous vous invitons à nous contacter si cette approche historique retient votre attention (Voir Appel à contribution n°1).

La troisième est relative à ses « figures ». Personnes à responsabilités, élevées parfois au rang de mythes, elles ont contribué à vulgariser les principes éducatifs de ce courant. On pense ici notamment aux « pédagogues célèbres », aux « penseurs de l’éducation » (officiels et scientifiques) dont les liens avec l’Education nouvelle sont parfois « fantasmés » et où la paternité des slogans donnent lieu à des recherches universitaires (Exemples des Méthodes actives ou du concept de Révolution Copernicienne). Cette galerie de portraits où l’on retrouve Stanley Hall, Edouard Claparède, John Dewey, Alfred Binet, Maria Montessori, Ovide Decroly, Pierre Bovet, Roger Cousinet ou encore à Célestin Freinet est forcément incomplète. L’histoire ne retient en effet, que les plus célèbres et laisse dans l’ombre des anonymes dont l’action fut pourtant centrale dans l’édification d’une pensée ou d’un mouvement quel qu’il soit ! Ainsi, ces figures emblématiques cachent évidemment une réalité plus complexe où la nature des relations et des appartenances avec le mouvement de l’Education nouvelle reste à préciser et où il convient de faire la lumière sur les « trajectoires parallèles » de ces praticiens dont on n’a pas, à ce jour, porté suffisamment d’attention et qui pourtant sont susceptibles de renverser de nombreuses idées reçues. Notre idée est, ici, de vous inviter à collaborer à la rédaction de notices biographiques prévues dans le cadre de la publication d’un Dictionnaire des militants de l’Education nouvelle en France (Voir Appel à contribution n°2).

La quatrième « thématique » est constituée des « publications ». Organes de diffusion plus ou moins officiels, ces ouvrages et ces revues s’inscrivent comme une véritable machine de propagande des idées et des applications des méthodes dites actives (méthodes labellisées et estampillées Education nouvelle). En France, ces revues sont principalement au nombre de huit , à savoir :

1. L’Educateur moderne fondée en 1906 par les docteurs Jean Philippe et Paul Boncour ;
2. L’Education créée en 1909 par Georges Bertier ;
3. La nouvelle éducation fondée en 1922 par Madame Madeleine T.-J. Guéritte et Roger Cousinet ;
4. Pour l’Ere Nouvelle qui voit également le jour en 1922 et qui sera dirigée pour un temps par Adolphe Ferrière
5. Le Bulletin de l’U.T.O fondé en 1927 par un comité de professeurs de l’Institut catholique de Lille ;
6. Le Bulletin des Amis du Nord de l’Education nouvelle créé en 1930 par René Hubert ;
7. Education qui fait suite à L’Education en 1935, et enfin,
8. L’Information pédagogique fondée en 1937 par A. Chatelet.

L’étude comparative de ces revues devrait nous permettre d’y déceler des orientations idéologiques diverses. Les résultats de cette recherche, récemment entreprise, n’ont pu encore aboutir, faute de temps et de moyens, à des conclusions « fines » dépassant les idées convenues sur les options doctrinales de chacune d’entre elles. Une étude croisée des ouvrages écrits par des auteurs qui se revendiquent de ce mouvement est également à entreprendre. Il serait intéressant, en effet, de confronter les versions que ces témoins de l’Education nouvelle donnent de certaines manifestations officielles afin de déceler, le cas échéant, des orientations complémentaires voire contradictoires au sein même de ce mouvement.


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