16. Les albums du Père Castor (Paul Faucher)

 

Quel fut l’apport de Paul Faucher (1898-1967) au mouvement de l’Education nouvelle en France durant l’entre deux guerres ?

A cette question, nous vous proposons le texte ci-dessous dont de nombreux éléments nous permettent de prendre conscience du rôle de Paul Faucher dans la promotion de certaines idées du mouvement de l’Education nouvelle dès 1927 :

"(...), je voudrais vous faire partager ma conviction : je suis persuadé que les premiers albums, les premières images, ont sur la sensibilité, sur le goût, sur le jugement des enfants, une influence déterminante et que les bons albums forment de bons lecteurs. C’est que pour l’enfant, l’album n’est pas seulement une histoire, c’est un objet affectif. Les images agissent avec tant de force sur sa sensibilité qu’elles se fixent dans son inconscient d’une façon ineffaçable. Elles doublent le pouvoir magique de la lecture, qui fait entrer l’enfant dans un monde étranger à ce qui l’entoure. Si l’album réunit les qualités voulues, il sera lu et relu inlassablement. L’enfant s’empare du thème de l’histoire, le vit, le joue, le plie aux nécessités de sa vie intérieure. Il voue alors une véritable affection à l’album, objet de tant de découvertes et de satisfactions. Et il y a beaucoup de chances pour que cette expérience fasse naître chez lui le goût durable de la lecture. (...).

Je crois d’autre part que la lecture intelligente, celle qui éclaire et enrichit l’esprit, dépend non seulement de l’acquisition du mécanisme de la lecture, mais de toute une éducation préalable. Cette éducation préalable, cette pré-lecture, est précisément la raison d’être de certains de nos albums d’images et d’activités. (...). En 25 ans, il a été publié 250 albums ou livres du Père Castor, dont 110 albums ou livres de lecture, 100 albums d’activités, 40 d’imagerie. Pour la France, leur tirage total est d’environ douze millions (chiffres de 1957, très dépassé) d’exemplaires, bien qu’ils n’aient fait l’objet d’aucune publicité ni d’aucune concession à des exigences commerciales. A cela, il faut ajouter quelques millions d’exemplaires pour les éditions étrangères. Les albums du Père Castor ont été traduits en Angleterre, en Italie, en Amérique ; certains en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en Hollande, en Finlande, etc. Sans parler des éditions clandestines et des contrefaçons de Russie et d’Amérique Latine.

Tous ces albums ont été faits pour l’amour des enfants, près d’eux, souvent avec eux, et dans la seule intention de les servir. Il ont été fait dans le double respect que Pasteur portait aux enfants, pour ce qu’ils sont et pour les hommes qu’ils pourront devenir, avec la volonté de répondre sans mensonge aux élans de leur curiosité et de s’adapter d’aussi près que possible à leurs capacités, avec l’idée que le meilleur, le plus beau leur est dû. Les albums sont un appel à l’activité de l’intelligence et de l’imagination, comme celle du corps et des mains. Ils ont été réalisés en équipe, suivant un plan médité, voulu, dirigé.

Pour expliquer leur origine et leur évolution, il est nécessaire de revenir trente ans en arrière. Il y a trente ans, le mouvement d’éducation nouvelle était en plein essor. Il n’était question que « d’activité spontanée », de « libération de l’enfant ». Je servais ces idées avec une ardeur et une conviction qui ne m’ont pas abandonné. Je brûlais du désir de répandre des vérités qu me paraissaient essentielles. J’avais eu la chance de rencontrer le groupe de la Nouvelle Education, animé par Madeleine T.-J. Guéritte et Roger Cousinet. Dans leur revue et leurs assises, ils démontraient avec une vigueur combative et une fougue entraînante les raisons et les principes de leur action. J’y adhérai d’enthousiasme et me fis l’un des sergents recruteurs de la Nouvelle Education. Plus tard, comme il n’y avait à Paris aucun bureau d’information permanent, nous organisâmes, quelques amis et moi, un centre de documentation et de propagande : le Bureau Français d’Education qui se multipliait en réunions, conférences d’éducateurs étrangers, visites d’écoles nouvelles, expositions internationales, etc.

Je donnais mes soirées et tout mon temps libre au B.F.E., mais dans la journée, je dirigeais une librairie. Je croyais à la bonne et à la mauvaise influence des livres, à la responsabilité sociale du libraire. Je m’efforçais d’y préparer mes collaborateurs et de guider le choix des lecteurs. Ayant un pied dans la pédagogie et un pied dans l’édition, j’entrepris en 1927 de créer, chez Flammarion, une collection d’ouvrages d’initiation à l’Education Nouvelle : la collection « Education ». Cette collection était la première, et elle est restée longtemps la seule dans son genre en France. Venue trop tôt, elle n’eut pas l’effet que j’en espérais. En revanche, elle me permit de connaître et d’approcher le génie de l’éducation en personne, Frantisek Bakule (1), dont j’avais lu l’histoire dans le manuscrit « Trois pionniers de l’éducation nouvelle, d’Adolphe Ferrière. Ayant rencontré Frantisek Bakule, et entendu ses « petits chanteurs » au Congrès de l’Education Nouvelle de Locarno en 1927, je n’eus plus qu’un désir : faire connaître l’homme et l’œuvre aux éducateurs français, et faire entendre la chorale de ses élèves dans toute la France. Le Bureau Français d’Education Nouvelle s’unit au Syndicat des Instituteurs pour organiser leur voyage en 1929. Les expositions et les deux cents concerts qui eurent lieu dans nos grandes villes furent plus pour l’éducation nouvelle que dix années de congrès et de conférences. Ce que Bakule apportait, ce n’était pas des principes, des théories, des idées abstraites, mais la preuve vivante, bouleversante, miraculeuse, du pouvoir de l’éducation.

Toute l’action de propagande que j’avais menée jusque là fut brusquement dépouillé pour moi de tout intérêt, et je cherchai dès lors à toucher les enfants eux-mêmes, en leur apportant des ferments de libération et d’activité par le seul moyen qui était à ma portée, par le livre - pour autant qu’on pouvait charger le livre d’une telle mission. IL devait être possible de mieux adapter les livres aux intérêts, aux capacités des enfants, en s’appuyant sur les données de la psychologie et de la pédagogie nouvelles. Je rassemblai donc tous les éléments d’information que je pus trouver : auprès de Paul Hazard (dont j’avais publié l’ouvrage « Les enfants, les livres et les hommes »), auprès de Miss Butts au Bureau International d’Education de Genève, de Miss Kett à la Croix-Rouge Internationale de la jeunesse, de Roubakine à Lausanne, qui avait étudié des lectures au niveau des lecteurs et auprès d’autres spécialistes. Puis, encouragé par un petit groupe d’écrivains, aidé par quelques amis éducateurs, je décidai de me consacrer entièrement à cette recherche. Je travaillais déjà avec plusieurs groupes d’enfants à la bibliothèque de « l’Heure Joyeuse » (auxquels je soumettais sujets, textes et images) et à l’œuvre de « l’Enfance Heureuse », dans un quartier populaire où les enfants lisaient peu. Quand j’eus réuni assez d’indices sur le goût des enfants, sur le rôle des images, sur les embûches du style, j’élaborai, avec l’aide de mes petits comités de lecture, un programme d’édition auquel je donnai la forme de catalogue anticipé, pensant ainsi retenir plus facilement l’attention d’un éditeur éventuel. Ce catalogue était précédé d’un exposé de principes assez nouveaux pour l’époque (1929). Il détaillait les qualités qu’on doit exiger des livres d’enfants et présentait une centaine de sujets, répartis en une quinzaine de rubriques. Il me valut, en effet, les offres de deux éditeurs, mais il ne fut jamais exécuté. C’est qu’en travaillant à sa réalisation, je me rendis compte qu’avant d’atteindre de tels objectifs, il fallait en viser un autre, apparemment plus modeste.

Commencer par des petits livres destinés à des enfants ayant l’habitude et le goût de la lecture, c’était mettre la charrue avant les bœufs. Il convenait de commencer par le commencement, de donner le goût de la lecture aux petits et de le faire naître chez les enfants qui n’aimaient pas lire ou qui lisaient mal. L’intérêt des sujets, la qualité des textes, la simplicité du style et du vocabulaire, la suppression des obstacles qui arrêtent les débutants et les mal-lisants, tout cela était nécessaire, mais n’était pas suffisant. Il fallait encore que l’image exerce au maximum ses pouvoirs d’attraction et de séduction, qu’elle soutienne, éclaire, explique, prolonge le récit, parle directement à l’intelligence et à la sensibilité, qu’elle soit belle et sincère. Pour jouer ce rôle de premier plan, un petit format ne lui convenait guère. D’autre part, il était nécessaire d’adopter une forme de publication qui, mieux que le livre, puisse contenir, des éléments d’activité.

C’est pour toutes ces raisons que j’optai pour l’album illustré, seule forme d’ouvrage pouvant se plier à cette double exigence, sous réserve de changer son aspect et son contenu traditionnels. Plus d’albums lourds, épais, chers, cartonnés, d’un goût douteux, mais des albums d’une riche substance assimilable, d’un format maniable, de peu de pages, répondant à des exigences artistiques scrupuleuses, et cependant d’un prix bas, afin de toucher le plus d’enfants possibles. De plus, les dimensions de l’album permettaient une mise en page plus libre, des marges plus grandes, des caractères typographiques plus gros. Enfin, par l’emploi de formats et de procédés de fabrication très variés, l’album pouvait devenir à volonté : livre, imagier, boîte de jeu et, ce qui me paraissait essentiel : support des activités souhaitées.

Le difficile était de trouver des artistes prêts à servir ces intentions et cet idéal. J’eus la chance de rencontrer Nathalie Parrain, alors inconnue, et dont le talent influença par la suite bien des illustrateurs. C’est elle qui fit les images des premiers albums. Attirés par ce nouveau style, d’autres vinrent à nous qui n’avaient pas songé jusqu’alors que le livre d’enfants était digne de leur talent. Ces premiers albums, fidèles à mon engagement et au principe fondamental de l’éducation nouvelle, eurent pour mission de favoriser l’activité créatrice des enfants, en leur proposant toutes sortes de travaux qui faisaient appel à leur initiative, à leur adresse et à leur goût ; des jeux d’observation, de comparaison, de jugement, d’expression verbale, dramatique, graphique et plastique. C’est parce qu’ils apportaient des jeux constructifs aux enfants que ces albums furent placés sous le signe animal voué d’instinct à la construction : le castor".

(1) Génial éducateur tchèque, fondateur et directeur de l’Institut Bakule à Prague, mort en 1957.

Source : FAUCHER Paul "La mission éducative des albums du père Castor", L’Ecole Nouvelle Française, n°87, avril 1961, p.20-26.

Voici, d’autre part, un ouvrage que nous vous invitons vivement à consulter. Il s’agit des actes du colloque de Pougues-les-eaux qui s’est tenu les 20 et 21 novembre 1998. Notons la présence de témoignages d’anciens collaborateurs de Paul Faucher en fin d’ouvrage qui viennent compléter les textes des historiens de l’education. Un très beau livre indispensable à ceux qui voudront se replonger dans ces albums de jeunesse. L.G.

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Forum

  • Les albums du Père Castor (Paul Faucher)
    9 avril 2010, par ELLUL Jean-Pierre
    Je suis né en 1940 .Scaf le phoque, Quipic le hérisson et tous les autres m’ont apporté le goût de la lecture, l’amour des bêtes et de la nature et le désir de dessiner. Ces albums sont incomparables. Rapatrié d’ Algérie, mes albums sont restés la-bas mais j’ai réussi à les retrouver et je continue de les feuilleter quelquefois. Ils sont un outil extraordinaire d’éducation qu’on ne retrouve plus aujourd’hui